Ode aux amours multipliés
J'ai envie de vous parler d'un auteur français, actuel celui-là, que j'apprécie beaucoup. D'ailleurs un des écrivains contemporains que je préfère ! C'est Eric-Emmanuel Schmitt.
Un de ses derniers livres est un recueil de nouvelles qui parlent toutes de formes d'amour particulière. C'était mon cadeau de Noël de l'an dernier. Particulières parce que ce sont des amours triangulaires, mais pas au sens restreint, pas au sens où on le comprend instinctivement. Cela signifie plutôt que certains amours entre deux personnes sont renforcés par l'existence d'un tiers, qui, souvent dans l'ombre et même parfois à son insu, le renforce.
Personnellement, j'ai préféré les trois premières.
Et particulièrement la deuxième, "Le chien". Son titre ne présage pas de la grande qualité de l'histoire qu'elle raconte, évoquant l'expérience des camps de concentration. Deux extraits sélectionnés par mes soins :
" Comment cesser d'être humilié et d'en souffrir ? En ne prétendant plus mériter un autre sort que celui qu'on vous octroie; en acceptant d'être ce qu'on fait de vous; en s'estimant moins qu'un porc, une déjection, bref en abdiquant son intériorité. Au bout de cinq mois, je ne me réfugiais plus dans mon esprit, je n'étais plus que ma peau qui avait froid, mes pieds entamés par les crevasses, mon ventre qui se crispait de faim, mon cul qui crachait des diarrhées interminables, mes muscles épuisés qui ne répondaient plus."
" Après cinq ans de guerre, il m'avait poussé à m'élever en me désignant la grandeur: un héros, c'est un homme qui essaie d'être un homme toute sa vie, tantôt contre les autres, tantôt contre lui-même."
"Les deux messieurs de Bruxelles", la première, est aussi touchante et le choix de l'avoir placée en premier et choisi ce titre pour le recueil montre la signification profonde qu'elle revêt pour l'auteur. Elle dépeint l'amour entre deux hommes et la manière pour le moins originale dont celui-ci est entretenu au fil des années. Je trouve particulièrement intéressant de pouvoir suivre des personnages sur une temporalité longue et voir leur psychologie évoluer.
Et enfin, "Ménage à trois", dans une moindre mesure, qui raconte le rôle de l'ex mari défunt d'une femme dans son second mariage. Et quel ex-mari ! Mais je ne vous en dis pas plus.
Ces nouvelles sont écrites de telles manière qu'il y a du suspense, on n'apprend qu'à la fin le fin mot de l'histoire, et c'est toujours émouvant. Ecrit dans un style simple et accessible.
J'ai lu d'autres livres de lui, il a écrit pas mal de pièces de théâtre dont celle que j'ai préféré : Le Visiteur , qui raconte la rencontre de Freud avec l'Inconnu qui a tout l'air d'être Dieu...à lire sans modération ! Il aborde souvent le thème de l'holocauste, qui lui tient particulièrement à coeur.
J'aime sa philosophie et sa sensibilité, qui transparaissent à travers tous ses écrits, on y retrouve souvent les thèmes du bonheur et de la souffrance, ou le rapport qu'il entretient avec l'humanité, forcément à souligner pour un écrivain ! Il se définit comme misanthrope mais reste profondément humaniste et s'insurge contre l'ère de la rationalité économique.
"Rarement quoique régulièrement, il faut que ma volonté me rappelle que j'apprécie le genre humain tant les violences, les injustices, les sottises, les à-peu-près, l'indifférence à la beauté et par-dessus tout, le consentement à la médiocrité m'ébranlent".
"Toute sagesse commence par l'acceptation de la souffrance (...) le bonheur ne consiste pas à se mettre à l'abri de la souffrance, mais à l'intégrer au tissu de notre existence".
D'autres ouvrages :
- La Rêveuse d'Ostende (2007) nouvelle
- Odette Toulemonde et autres histoires (2006) nouvelles
- Lorsque j'étais une œuvre d'art (2003) roman
- Oscar et la Dame rose (2002) théâtre
- La Part de l'autre (2001) roman
- L'Évangile selon Pilate (2000) roman
- Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran (1999) théâtre
- La Secte des égoïstes (1994), prix du premier roman de l'université d'Artois roman